Saturday, March 8, 2014

La condition de la femme est-elle en périls en Côte d'Ivoire?

Ceci est un article publié le 20/04/09 sur • Le Journal de ConnectionIvoirienne.net. Dans le cadre de la journée internationale de la femme je le républie pour le besoin de l'actualité.

C'est de toute évidence l'inquiètude qu'inspire la sortie de Mme Ténin Koné du Ministére de la Femme, de la Famille et des Affaires Sociales (MFFAS) imputant la responsabilité des crimes sexuels faits sur les femmes à ces dernières dans APANEWS[1]. En effet pour elle, les filles ‘‘harcèlent les hommes'' avec leur habillement ce qui logiquement implique qu'ils sont dans leur droit de les violer et cela au grand dam des défenseurs des droits de l'Homme qui dénoncent une impunité des violeurs.

Pour avoir fait une étude sociologique sur la représentation des genres dans notre jeune société[2], je me sens interpelé par cette sortie de l'officielle du MFFAS à laquelle je voudrais apporter ma contribution dans un débat citoyen.

Je voudrais dans un premier temps souligner le droit inaliénable de chacun dans une société moderne et démocratique de porter les vêtements de son choix et dans les limites de la loi. Ensuite, regretter une sortie hasardeuse de Mme Tenin Koné qui dénie toute responsabilité de ses actes à l'homme assimilé à un animal. Enfin, faire une analyse de l'état de l'émancipation de la femme en Côte d'Ivoire.

La liberté de choix des vêtements comme droit inaliénable

Pour écarter toute ambiguïté sur le contenu de la pensée de l'officielle du MFFAS, lisons-la ensemble :‘‘Je voudrais d'abord demander aux jeunes filles de s'habiller correctement car je pense que ce sont les jeunes filles elles-mêmes qui harcèlent les hommes''... ‘‘Aujourd'hui, nos filles s'habillent le ventre dehors, les fesses dehors avec des tatouages partout''...''l'homme étant ce qu'il est ne peut que réagir à une telle tentation''.Et de conclure ‘‘Nous parents, dans la cellule familiale, devrions d'abord interpeller nos enfants à s'habiller correctement.

Convenons tous ensemble que la Côte d'Ivoire est un pays avec ses règles de fonctionnement à travers ses lois et sa constitution. C'est pourquoi, il est étonnant que l'officielle du MFFAS n'interpelle pas la législation de son pays si tel est qu'autant de filles se baladant ‘‘les fesses dehors''. La loi pénalise ce que le législateur appelle trouble á l'ordre public pour les citoyens qui exhibent leur nudité sur la place publique. Alors, si Mme Tenin ou quelque citoyen que ce soit n'interpelle pas ces filles aux ‘‘fesses dehors'' devant la loi, c'est que leur habillement, de toute évidence n'enfreint pas à la loi. Or, dans les limites de la loi, de l'éthique et de la morale de soi, tout citoyen dans une société démocratique est en droit de jouir des libertés individuelles que lui confère l'Etat de droit. En clair, si ces filles ne tombent pas sous le coup de la loi et qu'elles sont en harmonie avec leur conscience dans leur habillement, aucune personne dans la société n'a le droit de leur porter violence sans subir la rigueur de la loi.

D'oú vient-il alors qu'une officielle de la République veuille leur imputer la responsabilité d'actes criminels commis sur elles? Pourquoi veut-on aliéner le droit aux Ivoiriennes de décider de la représentation qu'elle font d'elles-mêmes en tant que citoyennes libres? Dans les sociétés démocratiques modernes qui sont les références de nos sociétés, chacun, y compris les femmes décident en toute liberté et en toute responsabilité leur tenue vestimentaire sans que cela pour autant fasse grimper les statistiques sur les cas de viols sexuels.

Et pourtant dans le cas de ces sociétés, on peut paraphraser Mme Ténin Koné sans exagération pour dire que des femmes s'habillent ‘‘le ventres dehors, les fesses dehors avec des tatouages partout''. A Copenhague, cité de vélos par excellence, les jeunes filles prennent leur aise avec les fesses en l'air sur les vélos laissant entrevoir leurs strings sur les trottoirs pendant l'été. Elles s'étalent sur les plages nues ou presque pour se bronzer. Les hommes ne bondissent pour autant pas sur elles pour les violer. Encore qu'en Côte d'Ivoire, les filles ne sont pas encore arrivées à ce stade sur les plages.

Tout autant que dans ces sociétés démocratiques, les hommes savent regarder les femmes avec respect quelque soit leur habillement. C'est une question de respect de la liberté d'autrui et le charme du flirt, c'est de se regaler les yeux sans toucher la femme et vice-versa. N'empêche, il y aura toujours des hommes qui s'adonnent aux actes criminels de viols. Il y en a dans toutes les sociétés. Chez nous, il suffit que les filles s'habillent avec les mêmes similitudes que leurs soeurs des pays dits développés au nom des libertés individuelles, pour être accusées de ‘‘harceler'' les hommes. Ce qui confère aux malades mentaux parmi ses derniers le droit de les violer. Curieux raisonnement que celle de l'officielle du MFFAS qui n'arrive ni à faire le distingo entre les malfrats de violeurs et les Ivoiriens, ni à montrer sa compassion pour les victimes de viols qui, ô ironie du sort, deviennent des bourreaux.

De la nécessité de l'éducation de l'Ivoirien quant à sa représentation sociale de la femme

Avouons que ces propos sont d'une legéreté terrifiante et humiliants pour l'Ivoirien ‘‘normal'' qui ne s'est jamais livré au viol d'une femme. Comment un ministère qui a pour responsabilité de promouvoir l'équilibre des genres peut-il avoir une position si légère sur un sujet aussi sensible que la violence sexuelle faite aux femmes? Quelle généralisation grave! Quel préjugé!

Espérons que le ministère a des statistiques montrant que les filles violées avaient ‘‘le ventre dehors, les fesses dehors avec

des tatouages partout''. Espérons tout aussi que son ministére a un programme de rééducation de ces petits criminels et

délinquants qualifié de ''l'homme étant ce qu'il est ne peut que réagir à une telle tentation''.

Tout compte fait, le Ministère a une mission d'avant-garde car au delá de toute autre considération, il s'agit de changer la représentation que certains hommes ont de la femme comme devant être confinée à la cuisine et demeurer au service de l'homme et dédiée à la procréation. Cette représentation générale de la femme semble incliner n'importe quel petit ‘‘malfrat'' ou autres déreglés mentaux á s'aroger le droit de faire ce qu'ils veulent d'elle. Entre autres, la violer soit ‘‘pour des pouvoirs mystiques'' comme le soutient Mme Méïté de l'ONG Violence Sexuelle (AVIOS) soit pour assouvir son désir sexuel parce qu'elle est habillée sexy.

En tout état de cause, j'ai du mal à m'imaginer un Ivoirien ‘‘normal'' se laisser ‘‘harceler'' par l'habillement d'une jeune fille au point de la violer. C'est pourquoi, le rôle d'éducation qui incombe à la ‘‘cellule familiale'' de Mme Ténin Koné ne devra pas se limiter à ‘‘interpeler''les filles à s'habiller ‘‘correctement''. Mieux, elle se devra d'inculquer aux petits garçons le respect des filles qui, il faut le souligner ne doivent pas être représentées comme des objets sexuels au service de l'homme et de ses désirs libidinaux.

Pour moi, le discours de l'officielle du Ministère de la Femme est dangereuse car non seulement elle dénie aux violeurs toute la responsabilité de leurs actes ignobles, mais justifie et légitime même le crime fait aux femmes par des bandits. L'explication est simple: les hommes ne sont pas responsables de leurs actes car les jeunes filles elles-mêmes(...) harcèlent les hommes''. Mais au fait, qui sont ces ‘‘hommes'' ? Et que revêt l'expression ''l'homme étant ce qu'il est...'' ? Que renferme ‘‘Les hommes'' ou ‘‘l'homme'' qui n'est que ‘‘ce qu'il est'' et qui ‘‘ne peut que réagir à une telle tentation'' ? Est-ce tous les Ivoiriens ? Est-ce tous les hommes qui vivent en Côte d'Ivoire? ‘‘L'homme'', est-ce tous les hommes du monde?

Toutes ces interrogations posent le probléme de la communication de nos responsables politiques sur un sujet aussi sensible que le crime fait aux femmes à cause de leur sexe, un officiel ne peut baser son analyse sur des jugements empiriques denués de tout fact. Cela pose aussi le problème de manque de statistiques et le rôle incontournable que doivent avoir les sociologues dans notre société. Car une société où des ministères ne commandent pas d'études est une société qui ne peut pas faire de prévisions pour le futur. En conséquence, des officiels sont obligés de prendre position dans le hasard, prenant leurs émotions et préjugés comme explication plausible d'une réalité sociale.

La dialectique du/de la dominé(e) qui contribue à perpétuer sa domination

En tout, l'officielle ivoirienne donne l'impression que la femme ivoirienne, dans une société moderne qui est sienne devrait demander la permission à ‘‘l'homme'' quant aux vêtements qu'elle doit porter si elle veut être sauve. En fait, selon Mme Ténin la représentation que ces jeunes filles font d'elles-mêmes dans leur habillement est ‘‘fausse'' de sorte que leur représentation de soi doit être le reflet du miroir que l'homme leur exhibe. Et elle se veut la personne qui doit tenir se miroir à la place de l'homme.

Oú est l'émancipation de la femme si le ministère qui doit en définir les contours la définit à partir de l'optique de l'homme? Ou alors la Côte d'Ivoire s'achemine-t-elle vers une société dans laquelle l'effervescence des nouveaux mouvements réligieux imposent des dogmes devant régir la vie de la femme? Ou est-ce la sharia qui a bientôt droit de cité chez nous.

Toutefois, je pense que le discours de la collaboratrice de la ministre Jeanne Peuhmon est maladroit à un moment où le monde entier est scandalisé par le traitement qui est fait aux femmes dans certaines régions du Pakistan où les Talibans ont recu le feu vert pour appliquer la loi islamique de la sharia?

Par ailleurs, que ce soit une femme qui tienne ce discours choquant contre l'habillement de la femme ivoirienne violée ne saurait être une surprise, car le sociologue Pierre Bourdieu ne dit-il pas que: ‘‘s'il est bon de rappeler que les dominés contribuent toujours à leur propre domination, il est nécessaire de rappeler (...) que les dispositions qui les inclinent à cette complicité sont aussi un effet incorporé de la domination[3]''. Donc, en s'appropriant le discours qu'on croirait venir des bourreaux (les violeurs) Mme Ténin-qui évolue dans un champ des genres dans une Côte d'Ivoire dominée par l'ordre patriarcal-contribue à reproduire ‘‘la violence symbolique'' qui s'exerce sur les femmes. Elle apporte ainsi, selon Bourdieu sa ‘‘collaboration'' à l'assujettissement de la femme ivoirienne. En fait, la collaboratrice de la ministre dans la logique de la pensée Bourdieusienne du social a du mal à s'affranchir des schémas tracés par la domination masculine et dans lesquels son habitus s'enracine.

Vivement que le Ministère s'affranchisse des stéréotypes patriarcaux pour que l'émancipation de la femme soit le reflet de la représentation que les femmes ivoiriennes font d'elles-mêmes et non la représentation que les hommes font d'elles.

Vivement que les violeurs répondent de leurs actes.

Blay-Azu Dali, Sociologue du Développement.

blayazou@gmail.com

Avec APANews

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