Wednesday, February 7, 2007

Exode rural et "binguisme": Même fait social à deux époques différentes?

Sur la photo, ces bras valides qui vident les campagnes au profit de la ville
Quand j’étais teenager dans les années 1980, un phénomène secouait la Côte d’Ivoire dont le régime d’Houphouët était beaucoup inquiet; c’était celui de l’exode rural. Ce phénomène était caractérisé par une migration massive de la jeunesse rurale vers les centres industriels—particulièrement vers Abidjan. Ces jeunes portaient avec eux le rêve ou le secret espoir de trouver un boulot pour—entre autres—frimer comme la plupart des citadins qui retournaient dans les villages pendant les vacances.

Sans diplôme ou autre compétence qualifiant à leur boulot de rêve, cet espoir de ces jeunes se transformaient en désillusion, car en fait de boulot, il n’en avait point. Tout d’un coup, l’économie de l’oncle ou le frère travaillant en ville prend un coup, car ces jeunes devraient être logés et nourris.

Abidjan enrégistrait ainsi un boom démographique avec une concentration dense et composite de population. Bien naturellement, cela engendrait des problèmes de transport, de logement, de manque d’emplois qui faisaient naître le grand banditisme et la délinquence junvénile.

Le phénomène qui était aussi historique qu’inquiétant n’a pas échappé aux autorités ivoiriennes de l’époque. Ainsi, les élèves que nous étions, connaissions par coeur notre b.a.-ba sur le thème de l’exode rural qui était enseigné à l’école.

Et comme si cela ne suffisait pas, une campagne massive était lancée dans tout le pays contre ce phénomène. La campagne du ‘‘retour à la terre’’—puisque c’est de cela qu’il s’agit—avait pour groupe cible cette jeunesse rurale atteinte de la limite d’âge des classes de Cm2 et qui ne pouvait donc plus, officiellement, continuer ses études; ceux qui sont sortis de l’école après l’échec au BEPEC et surtout ceux recalés par le redouté, redoutable et défunt BAC Probatoire.

En fait, cette campagne visait à encourager les naufragés du système scolaire ivoirien—généralement les enfants de paysans pauvres—à cultiver la terre pour supporter la production cacaoyère et donner un sens à la politique de l’autosuffisance alimentaire.

On se souvient de la célèbre chanson de Pédro (Wéguy Ped) qui fut l’hymne au retour à la terre et dans laquelle il appelait la jeunesse ivoirienne à abandonner l’aventure citadine, et le rêve des ‘‘pantalons, chemises nouveaux’’ et des ‘‘souliers’’ bien cirés, pour se consacrer à la culture—alors pas trop populaire—de la terre. Au moment où Pédro s’essoufflait dans l’effort de convaincre cette jeunesse, Alpha Blondy lui vînt en appoint avec sa chanson ‘‘Banane Poyo’’.

Le comportement des citadins venus en vacances dans les villages avec leur frime, leur fringue et qui traînaient les plus belles filles du village dans leur sillage, en plus du trafic d’influence qu’ils exerçaient sur tout le monde; ce comportement, disais-je, finissait de convaincre les jeunesses rurales que seul le départ pour la ville devait leur permettre d’être à la hauteur du défi, à eux lancé par ces hommes de la ville. Et ce fut l’exode rural.

Comparativement à l’exode rural, un autre phénomène déchire la jeunesse ivoirienne depuis le début des années 1990, celui du départ vers ‘‘l’Eldorado occidental’’ communément appelé ‘‘Bingue’’ et qui a pour acteurs principaux les ‘‘Binguistes’’.

Ce phénomène migratoire touche, toute—ou presque—la jeunesse africaine. Aujourd’hui, il ne se passe de jours sans qu’on n’entende que des pirogues transportant des candidats à l’immigration ont coulé. Aucun sacrifice n’est de trop pour la jeunesse africaine, pourvue qu’elle atteigne les côtes espagnoles, quitte à risquer sa vie.

En Côte d’Ivoire, le ‘‘binguiste’’ qui, souvent a obtenu son titre de séjour aux prix de privation, humiliation voire même souffrance physique et psychologique ne boude pas son plaisir quand il retourne au pays pour des vacances et cela à l’instar du citadin qui retournait au village dans les années 1980.

Il n’a même pas besoin de se présenter. Même dans les haillons, un binguiste est reconnaissable et les portes s’ouvrent à lui. Les filles qu’il n’aurait jamais eu le culot de draguer s’il était resté en Côte d’Ivoire sont à ses pieds. Qu’est-ce qui fait tant courir ces filles-là? Peut-être le rêve candide et naïf d’être pris dans les ailes du ‘‘binguiste’’ au moment où celui-ci va s’envoler pour son pays ‘‘d’origine’’ ? Peut-être le besoin de frimer et de paraître? Même les femmes mariées et responsables cèdent sous la sagacité de l’identité déclinée du ‘‘binguiste’’. En tout état de cause, faute d’enquête scientifique pour établir les motivations de ces actions, l’on est réduit à un jeu de dévinette.

Toujours est il que dans les maquis ou bars climatisés où les décibels des rythmes saisonniers—‘‘Coupé-décalé’’, ‘‘Aile-de-pigeon’’, ‘‘Grippe Aviaire’’, ‘‘Wôrôssô’’ etc— vrombissent à vous casser les tympans, il suffit que la compagne ou compagnons soufflent au DJ-chanteur qu’un ‘‘binguiste est là’’ pour que son ‘‘atalakou commence à sortir’’. Le flatteur vivant ‘‘au dépens de celui qui l’écoute’’, le ‘‘binguiste sort les ‘‘Euros’’ pour son ‘‘petit’’, le DJ. La ‘‘petite go’’, les amis, cousins et neveux qui accompagnent le frère binguiste dans le maquis ou bar climatisé sont servis à l’alcool à satiété. Tout y passe: les biéres, vins mousseux et liqueur coulent à flots.

Dans les familles, ce jeune qui mangeait à la cuisine avec les autres pendant qu’il vivait au pays, est soudainement placé sur le piédestal; le tapis rouge lui est déroulé sous les pieds. Il mange désormais à table avec les Grands parce qu’il vient de l’Occident. Tout le monde est aux petits soins du ‘‘binguiste’’ qui est aussi aux petits soins de tout le monde.

Un tel trafic d’influence, un tel mythe ou une telle hystérie entretenue, qui par le ‘‘binguiste’’ lui-même, qui par son entourage n’échappe à personne. C’est donc à juste titre que beaucoup veulent partir de ‘‘l’autre-côté-de-l’eau’’; ils veulent ‘‘binguer’’, car existe-t-il quelqu’un qui refuserait d’avoir ce capital économique et social? Qui ne veut pas être à l’abri des coups de feu qui sont tirés à Abidjan depuis les évènements de septembre 2002 et qui a plongé le pays dans un coma économique et social?

Tout comme le citadin qui retournait au village pendant les vacances, le ‘‘binguiste’’ ne rend pas fidèlement compte des réalités qui sont les siennes. Il se retrouve en train de vendre des illusions ou du moins, il n’a pas d’autre choix que de vendre des illusions, car dans tous les cas de figure, il est considéré par tout le monde comme riche. Qu’il choisisse d’être humble, il y aura de quoi lui reprocher, donc autant vivre comme les autres s’attendent à ce qu’il vive! Voilà en fait, le grand dilemme du binguiste!

Il y a donc une interaction cynique, un jeu social entre le ‘‘binguiste’’ et son entourage dans lequel chacun connaît l’agenda l’un de l’autre sans se l’avouer. C’est un jeu où une partie joue habilement le prosterné, le lèche-cul, souvent même le mendiant et, oú l’autre partie joue le parvenu, le fanfaron et l’insouciant… Et chacun se plaît dans sa position, c’est une lutte d’intérêt!

En tout, l’interaction entre le ‘‘Binguiste’’ et son entourage abidjanais reflète l’image d’une Côte d’Ivoire pauvre, attendrie au point que l’esprit de discernement n’est plus de mise. Tout ce qui brille semble être de l’or.

Ce qui est remarquable, c’est que depuis le phénomène de l’exode rural des années 1980 jusqu’au ‘‘binguisme’’ d’aujourd’hui, les acteurs agissent dans le même registre. Le citadin des années 1980 joue le même rôle que le ‘‘binguiste’’ d’aujourd’hui et l’acte de l’abidjanais a les mêmes similitudes que celui du jeune rural. Il y a là deux phénomènes similaires se déroulant dans des contextes différents et à des époques différentes. Mais la pauvreté constitue le fond dur de ces 2 phénomènes. Cela montre la justesse de ce déterminisme scientifique qui veut que les mêmes causes produisent les mêmes effets—idée à laquelle je me vois souscrire pour une fois

1 comment:

Anonymous said...

pourquoi pas:)